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Encres de tatouage : On est foutus ?...

Encres de tatouage : On est foutus ?...

C'est en ces termes que le chimiste Michael Dirks* a résumé la situation concernant le nouveau Règlement européen lors du 5ème Congrès Européen de recherche sur le tatouage et les pigments. Tous les experts et professionnels présents, des chimistes aux juristes, en passant par les analystes et les fabricants, en sont arrivés à cette conclusion au terme de plusieurs heures de démonstrations techniques, études scientifiques et débats.

Après plus d'une année déjà éprouvante dans le contexte sanitaire et économique, les mois à venir s'annoncent sombres pour les tatoueurs et les tatoués européens, et la situation dépasse la seule problématique - déjà conséquente - des pigments bleu et vert.
Des règlementations de plus en plus idiotes et des politiques qui les imposent de manière arbitraire. En conséquence, les artistes reconnus qui se battent depuis des années dans la légalité pour des pratiques saines vont être les premiers à être exposés à ces interdictions absurdes : Pendant que les tatoueurs clandestins iront commander des stocks d'encres d’avance, ceux qui ont pignon sur rue seront contraints à baisser le rideau !
Et au bout du compte, les tatoueurs déclarés, soumis à de lourdes taxes et charges, n’auraient-ils pas raison de finir par se mettre en situation illégale puisque les ARS nous répètent qu'elles ne peuvent pas contrôler ces lieux d'exercice ? C’est ce qui arrivera inévitablement et on ne pourra plus blâmer personne qui réagira ainsi.
Depuis toutes ces années, on se bat avec ou face aux institutions, aux politiques, aux fonctionnaires... Pour voir les clandestins proliférer, les professionnels de plus en plus empêchés de travailler, et des décisions toujours plus insensées tuer la profession.
On pourra difficilement compter sur nos propres dirigeants, puisque notre Ministre de la santé, celui qui nous avait pourtant reçus avec tant de promesses lorsqu'il n'était "pas en responsabilité", n'en a honoré aucune une fois devenu Ministre... L’actualité nous prouvera que ses mensonges et ses actes ratés n’étaient pas réservés qu’aux tatoueurs mais bien à la France toute entière.

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JANVIER 2022
Baisse du seuil de 4000 substances contenues dans les encres
& interdiction de 25 pigments
= Encres acquises en septembre 2021 > Non conformes en janvier 2022

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La limitation de plusieurs substances est un principe positif en soi, mais les différents experts (chimistes, fabricants, analystes, etc.) sont tous d'accord sur le fait que les seuils sont globalement trop bas, à la fois en termes de cohérence (aucun argument technique propre au tatouage) et de contrôle : Les analystes pointent tous les difficultés à mesurer des substances en quantités aussi faibles que celles désignées par le règlement, sans compter les coûts extrêmement élevés que pourraient représenter ces analyses.
Outre le bleu et le vert dont l'interdiction est reportée à 2023, 25 autres pigments (notamment plusieurs rouge, orange, et jaune) sont interdits par le Règlement européen : Ces pigments constituent la majeure partie de la palette pigmentaire des grandes marques les plus diffusées en Europe, principalement issues de fabrication américaine. Leur remplacement par de nouveaux produits en quelques mois est un véritable challenge.
À ce jour, aucune encre sur le marché européen ne serait conforme à ce nouveau règlement : Ainsi, toute encre achetée en septembre 2021 serait légalement inutilisable en Europe à compter de janvier 2022.
Les premiers distributeurs (notamment en Belgique) ont annoncé que la plupart des encres actuellement vendues se verront étiquetées "REACH not OK" afin de préciser qu'elles ne pourront plus être utilisées à partir de janvier 2022, dans l'attente d'une potentielle reformulation des encres avec des pigments autorisés.
Délais et solutions sont inconnus à ce stade. Peu d'informations parviennent des fabricants, dans et hors de l'Europe, laissant les tatoueurs dans l'incertitude des encres qu'ils seront en mesure d'utiliser légalement à partir de janvier 2022.
NB. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, les encres noires ne sont pas à l'abri des nouvelles restrictions, si elles sont concernées par l'une des 4000 substances abaissées dès janvier 2022.

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JANVIER 2023
Interdiction de 2 pigments bleu et vert
= Bannissement de plus de la moitié des couleurs disponibles jusqu'en 2021

Aucune alternative technique n'existe pour remplacer les pigments Blue 15:3 et Green 7 : Leur structure leur assure une stabilité, un rendu et une sécurité incomparables.
La décision d'interdire les deux pigments se fonde non sur un risque avéré mais sur une absence d'évaluation de sécurité. Leur bannissement va conduire de fait à une exclusion de plus de 60% des gammes de couleurs actuellement sur le marché.

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Ne peut-on pas trouver d'autres bleus et obtenir du vert en les mélangeant avec du jaune ?
Réponse du chimiste Michael Dirks* : "Bien sûr, vous pouvez mélanger du bleu et du jaune pour obtenir du vert. Mais vous ne parviendrez pas à vous approcher de la gamme de couleurs actuellement disponible. Le pigment bleu évoqué comme solution alternative est en fait assez "rougeâtre" et se situe très loin du bleu profond donné par le Blue 15:3. Les verts qu'on peut alors générer sont eux aussi très limités en raison de la qualité du pigment. Par exemple, les violet, turquoise ou vert "citron" tels qu'on les connait n'auront plus du tout le même rendu - ni une tenue équivalente dans le temps - si on les prive des deux pigments à bannir. On sera incapables de retrouver notre palette actuelle."
Tatouage Magazine n°139, mars/avril 2021

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COMMENT EN EST-ON ARRIVÉS LÀ ?

Sans reprendre ici toute l'histoire depuis 2016**, l'étude de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a conduit au vote du Règlement européen publié en décembre 2020.
Tout au long de l'étude, l'ensemble des fabricants présents sur le marché ont été invités à répondre aux interrogations de l'ECHA et à apporter tous éléments utiles au dossier : Un faible nombre a répondu à cette invitation, et aucune donnée pertinente n'a permis à l'Agence de constituer un socle d'informations solides issues du terrain.
Les conclusions de l'ECHA s'appuient donc essentiellement sur des bases règlementaires applicables aux cosmétiques, et ne sont fondées sur aucune preuve scientifique de toxicité des pigments bannis, ni sur des données propres aux tatouages qui permettraient de définir des seuils cohérents et réalistes pour l'ensemble des substances visées de restrictions.

Concernant les pigments Blue 15:3 et Green 7, ils seraient théoriquement en cause dans des teintures pour cheveux : Le problème suspecté serait un risque théorique de cancer de vessie pour des colorants commercialisés... Avant 1960. Les dernières études ont pourtant conclu à une absence de risque, mais les traces laissées par la controverse et l'absence de preuve dite de sécurité ont suffit à faire prévaloir le sacro-saint principe de précaution. C'est ainsi, qu'après moult discussions, le comité européen a estimé qu'il n'était pas possible d'exclure un risque de cancer... D'où le bannissement de ces 2 pigments.

** Voir aussi "Bleu, vert & co... Des couleurs en sursis ?" (Tatouage Magazine n°139, mars/avril 2021)

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Que va-t-il se passer à partir de janvier 2022 et 2023 si le Règlement reste en l'état ?

Alors que l'objectif affiché d'une nouvelle règlementation est de renforcer la sécurité des produits dans un souci de santé publique, le Règlement européen dépasse et inverse la logique de protection souhaitée par la communauté européenne.
Les hypothèses sont multiples :

  • Difficultés à s'assurer de la conformité des produits,
  • Difficultés à identifier les couleurs répondant au Règlement européen,
  • Dissimulation de produits,
  • Usage illicite d'encres devenues non conformes,
  • Apparition d'étiquetages falsifiés,
  • Contournement d'étiquetages du type "not for tattoo" ou "non conformes",
  • Contrôles localisés et/ou sanctions isolées,
  • Fermeture de studios et/ou transformation en studios privés,
  • Retour à la clandestinité,
  • Concurrence des pays hors UE, comme la Suisse ou le Royaume-Uni,
  • Absence de contrôles et règlement non appliqué dans plusieurs pays européens,
  • Développement d'un marché de contrebande,
  • Absence de suivi et de traçabilité pour les personnes tatouées,
  • Complications et effets indésirables non répertoriés,
  • Absence de protection des tatoueurs et des personnes tatouées,
  • Art du tatouage censuré...

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QUE PEUT-ON FAIRE ?

Outre se tourner vers son distributeur habituel pour tenter d'obtenir des précisions sur les intentions des fabricants, les issues légales à court et moyen termes sont extrêmement réduites.

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  1. La pétition officielle qui a permis une attention de la Commission européenne en mars dernier est toujours ouverte. Elle laisse encore un maigre espoir de susciter le débat entre députés européens sur le contenu du Règlement : Il est donc important de continuer à la soutenir, en invitant autant de nouveaux soutiens (professionnels et clients) que possible.
  2. L'intervention de 2 ou 3 gouvernements nationaux pourrait avoir une plus grande influence auprès de la Commission européenne, sans toutefois de grandes chances de changer la donne en quelques mois. Le SNAT, qui a déjà tenté de solliciter l'attention du Ministère de la santé sur ces questions dès janvier 2021, maintient cette démarche tant qu'elle n'aboutit pas. La France est cependant considérée comme un des pays les plus stricts en matière d'application des règles européennes, il est donc peu probable que notre Gouvernement souhaite se prononcer en notre faveur.
  3. Une option "juridique" a été évoquée par une poignée d'experts, car le texte européen comporte une forme d'incohérence : En (très) résumé, les pigments bleu et vert sont interdits d'un côté (annexe 2) et "autorisés" de l'autre (annexe 4). En outre, l'annexe 2 mentionne le bleu et le vert comme colorants capillaires et non comme pigments de tatouage... Mais le texte principal du Règlement vise bien spécifiquement ces mêmes pigments bleu et vert comme produits de tatouage, en mentionnant un délai de mise en application (24 mois). L'option a priori coûteuse et hasardeuse ne pourrait régler le problème de fond, incitant simplement le législateur à préciser le texte.
  4. Il semble beaucoup plus probable que le Règlement européen doive "faire ses preuves", ou plutôt montrer qu'il est inapplicable et contre-productif, sur une durée d'au moins 2 à 3 ans, pendant laquelle la pratique du tatouage en Europe se trouvera dans une situation juridique très compliquée, avec un usage limité ou irrégulier des encres de tatouage.

Dans le même temps, différents experts médicaux et scientifiques continuent de procéder à des analyses et études (chimie, biologie, dermatologie, épidémiologie, etc. : Se référer notamment aux travaux rapportés par l'ESTP), parfois pertinentes, parfois hasardeuses, susceptibles de servir de matériaux à une ré-évaluation future du Règlement en vigueur.

Le groupe de discussion né en janvier 2021 entre représentants d'associations professionnelles européennes poursuit les échanges à ce sujet, et tend à se formaliser pour initier une des procédures juridiques évoquées ici.

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* L'Allemand Michael Dirks, diplômé d'ingénierie, est depuis 2006 consultant technique pour différents fabricants d'encre, également membre de l'ESTP. Il est aussi un des initiateurs de la pétition européenne pour la défense des pigments et a porté sa voix devant la Commission européenne en 2021.

(c) S.N.A.T. - Syndicat National des Artistes Tatoueurs et des professionnels du tatouage

Lien vers cet article: www.snat.info/articles/80414-encres-de-tatouage-on-est-foutus